Dans les représentations collectives et individuelles, on attribue encore à la figure de l’écrivain une aura de mystère, entretenue par le mythe du génie au talent inné. Selon ce mythe, on ne devient pas écrivain – comme on devient ingénieur, médecin, boulanger ou cuisinier – mais on serait écrivain de naissance. Comme si la capacité à écrire des livres était un don du ciel, ou que tous les écrivains étaient frappés par la foudre de l’inspiration sans avoir à fournir le moindre effort, contrairement au commun des mortels qui, lui, ne sera jamais en mesure de terminer un manuscrit et le faire publier.
Le mythe du génie au talent inné
De ce mythe autour du talent inné découlent deux croyances limitantes :
L’écriture serait réservée à une élite, à quelques personnes choisies.
Les personnes dotées de ce talent n’auraient donc pas besoin de se former au métier d’écrivain ou aux techniques de la narration.
Or, ces deux croyances sont trompeuses :
L’écriture n’est pas réservée à une élite. Pourquoi tout le monde ne pourrait-il pas apprendre à écrire un livre ?
Si l’on a du « talent », des prédispositions pour l’écriture, mais qu’on ne fournit pas les efforts nécessaires à la production d’une création et à son aboutissement, alors peut-on prétendre au titre d’écrivain ?
J’ai appris plusieurs choses en écrivant mon premier roman. D’abord, qu’« inspiration » est un très mauvais mot, employé par des auteurs retors pour paraître artistiquement respectables. Comme dit le vieil adage, le génie est fait de dix pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix pour cent de transpiration. On rapporte que Lamartine décrivait ainsi les circonstances dans lesquelles il avait écrit un de ses meilleurs poèmes : il lui était venu tout achevé, dans une soudaine illumination, une nuit où il errait dans les bois. Or, après sa mort, quelqu’un trouva dans ses affaires un nombre impressionnant de versions dudit poème, qu’il avait écrit et réécrit dans un laps de temps de plusieurs années.
Umberto Eco, Confidences d’un jeune romancier (2011).
Ecrire un roman, cela s’apprend !
Comme on apprend le solfège pour jouer d’un instrument de musique, ou la perspective et les points de fuite pour aborder le dessin, la maîtrise de la langue et des techniques narratives est indispensable – et peut s’apprendre – si l’on souhaite écrire des romans qui convaincront les éditeurs et plairont aux lecteurs. L’écriture littéraire, comme toute discipline, possède un socle de connaissances fondamentales qu’on peut et doit maîtriser pour progresser et exceller dans cette pratique.
Attention toutefois à ne pas confondre connaissance d’une langue d’une part, et maîtrise des techniques de la narration d’autre part. En effet, la première est rarement suffisante pour se lancer dans l’écriture d'un ouvrage. Ainsi, si je parle et écris le français parce que c’est ma langue maternelle, et que je connais par exemple l’existence des signes de ponctuation, cela n’est cependant pas suffisant pour me lancer dans l’écriture d’un roman. En effet, je ne maîtriserai pas forcément l’emploi correct des différents signes de ponctuation et j’ignorerai donc que l'usage des points de suspension et d’exclamation doit rester exceptionnel dans un roman.
De la même manière, connaître les usages d'une langue ne signifie pas qu'on sera capable d'écrire un roman ou d'achever l'écriture d'une œuvre de fiction. En effet, terminer un premier jet, le relire pour procéder à sa réécriture - autant de fois que nécessaire - requiert de la discipline et la mise en place de solides habitudes d'écriture afin de ne plus souffrir du fameux syndrome de la page blanche. Devenir écrivain et écrire régulièrement, cela s'apprend également.
L’écriture en dilettante ou en professionnel ?
L’écriture comme outil thérapeutique (écriture de soi) ou comme loisir (écriture pour soi) peut se contenter d’une approche récréative, intuitive, improvisée, sans structure ou méthode. Mais dès lors que l’on souhaite écrire sérieusement, dans les « règles de l’art », achever ses manuscrits, trouver une maison d'édition pour se faire éditer et être lu par d’autres, cette écriture-là ne peut pas faire l’économie d’une maîtrise technique. En effet, que ce soit pour un blog, une revue, un concours de nouvelles ou un roman à envoyer à des éditeurs, on attendra de l'auteur un certain professionnalisme, un respect des conventions du milieu. La méconnaissance de ces règles compromettra sérieusement les chances de jouer dans « la cour des grands » (être publié et lu).
Ecrire un texte satisfaisant, une histoire captivante, cela s’apprend. Aux Etats-Unis, l’écriture créative est une discipline universitaire depuis 1887, au même titre que les mathématiques, les sciences sociales, la médecine. On y apprend comment écrire un livre captivant, construire une intrigue solide, créer des personnages vivants et inoubliables, écrire des dialogues crédibles, instaurer de la tension narrative, choisir un point de vue narratif, délivrer un message marquant, travailler le rythme, créer une voix forte et atypique, soigner son style… La démarche est purement technique et pragmatique, et non intuitive ou mystique. Les notions de talent, motivation et inspiration y sont rarement mentionnées. On leur préfère celles de travail, régularité, discipline.
Deux grands auteurs formés à l'école du creative writing et aujourd'hui enseignants :
Dans cette approche de l’écriture, on considère que la partie créative n’est qu’une étape parmi d’autres – et qu’elle aussi peut s’apprendre. En gros, écrire ne se résume pas à avoir du talent, mais requiert d’avoir des idées, de connaître les techniques pour les structurer, d’écrire puis retravailler son texte, d’effacer, de recommencer, de peaufiner.
On voit bien comme ici, l’écrivain, plus qu’un artiste, est avant tout un artisan. Il n’a pas peur du labeur et il n’attend pas l’inspiration. Il s’appuie sur des connaissances et des techniques apprises pour produire le meilleur texte possible. Cette conception n’est pas qu’américaine, ni vraiment nouvelle :
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Nicolas Boileau, "L'art poétique" (1674).
L’apprentissage des techniques de la narration permet non seulement de comprendre les rouages de l’écriture, mais aussi de construire son roman, de le rendre solide et cohérent, mélodieux et poétique dans sa résonance, captivant et mémorable pour ses lecteurs.
En apprenant ces techniques, on investit du temps pour en gagner par la suite, car ces bases fondamentales vont prévenir les fameux « blocages » dont beaucoup se sentent victimes. En effet, on croit que les blocages sont d’ordre psychologiques ou créatifs ; or, ils sont le plus souvent dus à une impasse technique dont on peut se sortir si l’on a connaissance des rouages de la narration.
Écrire un roman, cela s’apprend donc. Finalement, c’est plutôt une bonne nouvelle ! Car cela signifie qu’on peut s’appuyer sur des ressources existantes qui nous guideront sur le chemin long et ardu qu’est l’écriture d’un roman. Puisque ce savoir a été théorisé et qu’il n’est pas mystique, tout le monde peut se donner les moyens d’apprendre et de s’améliorer, afin d’écrire ce livre qu’on a en tête depuis tant d’années et pour lequel on bloque depuis trop longtemps.
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