Le 6 mars 2025, Zhu Renlai 朱人来, fondateur des éditions Pacifica, s’est éteint. Il était âgé de 58 ans et venait de courir son cinquième semi-marathon. Il était mon éditeur. Celui qui a immédiatement cru en mon potentiel littéraire. Celui qui a publié mon premier livre, puis les suivants. Zhu Renlai n’a eu de cesse de me faire confiance – le meilleur des encouragements pour un jeune écrivain qui ne croit pas en sa propre valeur.

Zhu Renlai était âgé d’une vingtaine d’années lorsqu’il a quitté sa Chine natale pour s’installer à Paris. Ce changement de vie était motivé par son amour inconditionnel pour les lettres françaises. Traducteur et interprète, expert en arts plastiques et nouveaux médias, il a écrit et édité l'un des tout premiers guides touristiques de Paris en chinois. En 1993, il a fondé les éditions Pacifica dans le but de promouvoir les ouvrages en langue française sur la Chine, et de publier des auteurs de langue chinoise en France. Il a ainsi fait connaître le travail de plus de 70 auteurs.
Mon premier échange avec Zhu Renlai date du 17 décembre 2012. Embarquement pour la Chine, mon premier manuscrit, sommeillait dans mon ordinateur depuis janvier 2011, date à laquelle j’en avais terminé l’écriture, et à laquelle j’apprenais qu’Earnshaw Books, premier éditeur avec lequel j’avais signé, me laissait tomber.
Lors d’un passage à Paris, je me suis rendue dans les bureaux des éditions Pacifica situés au 34, avenue des Champs-Elysées. J’ai alors fait la connaissance d'un homme doux, généreux, ouvert, d’une culture impressionnante et d’une intelligence rare.
Zhu Renlai a ressuscité Embarquement pour la Chine. Notre collaboration s’est tout de suite avérée franche, honnête, d’une efficacité redoutable. Deux mois après notre premier échange de mails, je signais mon contrat d’édition chez Pacifica. Six mois plus tard, je tenais entre les mains mon premier livre.

Je me souviens du jour où, en 2018, je lui ai parlé de la création de L’atelier d’écriture by Christine. Une légère nervosité teintait ma voix – un manque de légitimité, à l’époque ? – tandis que lui avait accueilli la nouvelle comme la plus grande des évidences.
Sans ma rencontre avec Zhu Renlai, sans la publication de mon premier livre, L’atelier d’écriture by Christine ne serait peut-être pas né, et sans doute n’aurais-je rencontré aucune des 2 000 personnes qui, depuis, ont participé à mes ateliers.
Je me souviens aussi de ses mots, lors de la parution en 2021 de mon deuxième livre, Au royaume des aveugles : « Avec cette publication, ton talent de romancière vient d’éclore. Il ne faut plus t’arrêter d’écrire, maintenant. »

En 2022, lorsque je lui ai soumis l’idée d’un recueil de nouvelles co-écrit par des participants de mes ateliers d’écriture pour faire connaître ces talents, sa réponse a été renversante, et pourtant si fidèle à sa personne : « Non seulement je publierai le recueil, mais je te propose la création et la direction d’une collection au sein de Pacifica ». Ainsi était née la collection Élan, de l’initiative et de la conviction d’un homme animé par les lettres et entièrement dédié à leur diffusion.
Zhu Renlai ne m’a pas seulement fait confiance, il m’a aussi laissée entièrement libre de choisir la ligne éditoriale, ainsi que les auteurs qui écriraient pour la collection Élan. Y a-t-il une meilleure définition de l’amitié que la combinaison de la confiance et de la liberté offertes à l’autre ?

Depuis vingt ans que je n’habite plus en France, Renlai faisait partie des rares personnes avec lesquelles je prenais systématiquement rendez-vous à chacun de mes passages à Paris. Pas uniquement dans le but de faire un point sur nos projets littéraires en cours, mais aussi et surtout pour le plaisir de retrouver un ami lettré, éclairé sur le monde et sur l’importance de la littérature. Je me souviens assez précisément de nos longues discussions, profondes et passionnantes. Je repartais de chacune de nos rencontres avec la conviction que j’étais à la bonne place. Grâce à lui.
J’ai toujours eu conscience de ma chance de collaborer avec Renlai. Dans le dernier mail que je lui ai envoyé et qu’il a été en mesure de lire, j’écrivais :

Mais c’est seulement à l’annonce de son décès que j’ai pris toute la mesure du rôle qu’il a joué dans mon parcours. C’est lui qui m’a permis de réaliser mon rêve de devenir écrivain.
La dernière fois que j’ai vu Renlai, c’était en juillet 2024. Juste avant les J.O. Il m’a donné rendez-vous au café Le Royal Exelmans. Il a commandé un expresso et m’a offert mon orange pressée. Nous avons discuté de mon roman en cours, de mes retraites d’écriture, de l’état inquiétant du monde, de la santé de nos proches. Il portait sa veste en lin beige et, sur son visage, sa sérénité habituelle et son sourire discret. Nous nous sommes dit au revoir à mon arrêt de bus et je l’ai regardé partir, en pensant : « Quelle chance de l’avoir dans ma vie. »
Zhu Renlai laisse une épouse et deux enfants. Toutes mes pensées sont pour eux.

Merci Christine pour ce bel hommge.