Nous sommes allés à la rencontre du grand gagnant de notre concours de nouvelles 2024 : Louis Ronsin. Qui est-il ? Comment s'y est-il pris pour écrire le texte lauréat ? Que signifie l'écriture pour lui ? Il nous répond dans cette interview.
Louis Ronsin, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs en quelques mots ?
Je suis né dans la banlieue pavillonnaire des Yvelines (à Vernouillet, précisément). J’habite aujourd’hui à Gentilly, ville périphérique de Paris qui mériterait selon moi de devenir la nouvelle capitale de l’île de France. Mais enfin, je ne souhaite convaincre personne…
J’ai ce qu’on peut appeler un parcours en dents de scie, avec des tas de reconversions professionnelles, et ça continue ! J’ai commencé dans la communication pour un promoteur immobilier, puis j’ai fait un tour par le coaching en développement personnel que j’ai abandonné après deux séances de formation. De là, j’ai repris la FAC en traduction et analyse du discours, puis en sciences de l’information et de la communication. J’ai fait ça en enchaînant des boulots de serveur, commis de cuisine, barman, bibliothécaire… Un projet de thèse avorté plus tard, je m’apprête à tenter ma chance en tant que contractuel de l’Education nationale pour enseigner aux rejetons de notre belle nation - ce qui a quelque chose d’assez ironique pour un ancien dernier de la classe.
Dans l’absolu, tout ça me sert surtout à soutenir mon activité d’écriture dont j’aimerais vivre à terme (original, pas vrai ?).
Depuis combien de temps écrivez-vous ? Quels types d'écrits ?
J’écris sérieusement depuis cinq ans, date approximative à laquelle j’ai quitté le monde de l’entreprise. Sinon je compose depuis tout jeune des petites histoires dans ma tête. En termes de genre et de style, je me cherche encore. J’ai commencé par le fantastique qui a l’avantage de créer aisément des situations poétiques, horrifiques, sur lesquelles bâtir de la tension narrative. Cela m’a permis de décomplexer mon geste d’écriture sans trop me prendre la tête. Par la suite, je me suis mis à alterner entre des écrits horrifiques et d’autres plus réalistes, tirant vers la littérature générale.
J’aime aussi écrire de la critique cinéma et de la poésie contemporaine, mais plus comme une manière d’expérimenter des choses et de travailler mon muscle de l’écriture. La poésie, lorsque j’ai la possibilité de la déclamer sur des scènes ouvertes, permet aussi d’aller rencontrer du monde et de casser l’aspect solitaire de l’écriture. On ne va donc pas s’en priver. 😊
La thématique « vocations brisées » vous a-t-elle immédiatement inspiré ?
Le thème m’a tout de suite attiré, certains amis (taquins ?) n’ont d’ailleurs pas manqué de me faire remarquer que ce thème semblait taillé sur mesure pour moi !
Blague à part, j’aime les récits qui font étalage d’une incapacité, d’une barrière, ou plus généralement d’un échec. Je trouve ce thème d’autant plus intéressant dans une époque où nous sommes régulièrement amenés à nous définir positivement par nos réussites (diplôme, travail, salaires…). En tant que sportif ou artiste, se définir par notre simple activité me parait très compliqué : on demandera rapidement à un judoka sa ceinture ou son score en compétition, plus rarement ce qui lui plait dans la pratique de sa discipline. Comment rendre compte de l’expérience sensible d’un individu qui se débat entre des injonctions intérieures et extérieures, entre sa volonté d’accomplir et sa frustration de n’être qu’une goutte emportée par le courant de sa propre vie ? Je ne prétends pas répondre à tout cela ici, bien sûr. Je veux tout simplement dire que le thème du concours répondait naturellement à mes thématiques d’écriture.
Comment avez-vous procédé pour écrire la nouvelle que vous avez proposée à notre concours ?
J’ai immédiatement entamé le travail d’une nouvelle inspirée de mes propres expériences avant de réaliser qu’elle ne convenait pas aux consignes du concours. J’avais cependant une nouvelle déjà écrite, jamais envoyée et répondant au thème. Je l’ai simplement retravaillée pour affuter sa forme, évincer certains passages trop lyriques à mon goût. J’ai également rajouté un paragraphe au début et à la fin. Le premier visant à placer un cadre général pour ensuite resserrer l’histoire sur le drame du personnage principal. Ainsi, de la beauté de la nature, nous arrivons à la prédation, puis à la guerre, puis à ceux qui la font, etc. J’ai pensé l’intro en termes de réalisation visuelle, avec l’avion qui entre dans le cadre et embarque le spectateur dans les enjeux du récit. J’ai également retravaillé légèrement la fin en ajoutant un bref passage sur les négociations des dirigeants politiques et la fin de la guerre. Je souhaitais ajouter une dimension absurde au récit. Pour le reste, j’ai surtout élagué, cherché à supprimer le superflu.
« Le ton est secondaire au message, et c’est en produisant qu’on prend conscience de ce qui nous anime. »
Pourquoi avoir choisi d'écrire sur ce sujet-là en particulier ?
Le sujet de la guerre s’est présenté assez naturellement. J’ai d’abord pensé à un bombardier, et le reste est venu en tirant le fil. Il me semble parfois que nos sentiments moraux sont liés à notre capacité à voir l’impact de nos actions. Je suis toujours surpris de voir tant de mecs rêver de devenir pilotes de chasse ou conducteurs d’hélico de combat. Bien sûr, j’ai vu Top Gun, et j’ai trouvé Tom Cruise super classe, avec sa veste et ses Raybans. Mais derrière, un pilote, c’est quand même quelqu’un qu’on paye très bien pour tuer des gens qui, a priori, ne peuvent pas se défendre. Je voulais donc mettre mon personnage face à ses propres contradictions.
En n’intellectualisant jamais ce qui lui arrive, le pilote est happé par ses affects. Il ne peut pas se réfugier dans le déni et doit affronter les conséquences de ses actes. Finalement, il préfère arrêter de sentir et de penser, devenir une machine, pour échapper aux contradictions de sa propre humanité. Peut-on lui en vouloir ? Se regarder dans une glace, se dire qu’on est un salop, un meurtrier, ce n’est pas franchement à la portée de tout le monde. J’espère ainsi poser la question du libre arbitre et de la difficulté de son exercice.
Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que vous étiez le grand gagnant du concours de nouvelles 2024 ?
De la joie, bien sûr. J’ai crié « Yes » plusieurs fois ! Puis j’ai repris mon souffle, et j’ai aussi boxé l’air de mon appartement en guise de célébration. Merci encore à Christine Leang, au jury et à L’atelier d’écriture by Christine de permettre aux jeunes auteurs de faire connaitre leurs textes en organisant ce genre d’évènements qui font vivre la littérature.
Comment définiriez-vous votre style d'écriture ? Dans quel registre littéraire souhaitez-vous évoluer ?
Il est compliqué de définir son écriture, d’autant qu’il me semble chercher une voix à travers elle, et que cette recherche même modifie cette voix. Vous avez qualifié mon style d’écriture blanche, ce qui m’a flatté, car je ne me suis jamais présenté mon écriture de la sorte. Il me semble pour autant que cette description me rapproche du type d’écriture que je souhaite proposer. J’essaie de faire quelque chose de poétique, fluide, simple et profond. J’aime aussi insuffler du vulgaire dans mes textes, aller chercher du moche pour faire du beau avec. L’oralité me parait aussi intéressante et nécessaire, histoire de s’éloigner des règles que nous a imposées l’école.
Mes références principales sont autant des néo-romantiques comme Hermann Hesse, Yukio Mishima et John Steinbeck, que des auteurs plus trash comme John Fante. J’aime aussi certains textes de Bégaudeau, notamment pour leur humour. J’aimerais pouvoir faire le grand écart entre le condensé d’humanité violent, brut et ambigu qu’on trouve chez John Fante, et l’ésotérisme spiritualisant d’un Hermann Hesse.
Cela étant dit, je souhaite surtout développer mon artisanat littéraire pour raconter un maximum d’histoires. Il me semble que le ton est secondaire au message, et que c’est en produisant qu’on prend conscience de ce qui nous anime.
Pourquoi l'écriture ?
Question difficile. Déjà, parce que la guitare fait mal au doigt, et le dessin au poignet ! Ne me parlez pas de peinture : je déteste me salir. J’aimerais faire des films, mais je n’ai pas assez de potes ou d’argent. Pour l’écriture en revanche, le temps suffit ! Écrire, c’est un moyen de créer, de laisser une trace de notre passage en plongeant dans les imaginaires de notre époque, quitte à contribuer à leurs développements et propagations.
En bouddhiste du dimanche, il me semble qu’on n’existe jamais vraiment, ou du moins seulement suite à une multitude d’accidents qui nous donnent l’impression d’être une entité spéciale, un être vivant, bref… une illusion qui mérite qu’on la prenne au sérieux.
Quand on écrit, quand on remplit des pages blanches, on fait naitre quelque chose, et cette chose existe. Elle peut être lue, vivre dans l’esprit des autres. Elle offre un monde dans le monde, une illusion dans l’illusion qui embellit et donne un sens à la farce de l’humanité. Et la pratique même de l’écriture permet aux illusions que nous sommes de créer quelque chose qui nous dépasse.
Des projets à venir ?
J’ai envie de me frotter à plusieurs types d’écriture et de raconter un maximum d’histoires. Pour l’instant, je crois que la forme courte me permet cela, mais je ne m’interdis pas de faire naitre ainsi un nouveau projet de roman.
Merci, Louis, de nous avoir accordé cette interview. Nous vous souhaitons bonne chance pour la suite et aurons un grand plaisir à vous retrouver dans le prochain recueil de nouvelles de la collection Élan !
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Découvrez un extrait du texte de notre gagnant :
La Terre, le ciel et la belle orpheline
de Louis Ronsin
Le silence n’existe pas. Même au large des côtes, il y a toujours le souffle du vent et le remous des flots. La journée débute seulement et le soleil se pose sur les vagues. Elles s’illuminent sous le ciel orange qui s’étend à perte de vue, calme, immaculé. Un albatros plonge dans la mer. Quand il en ressort, son bec tient un large poisson qui se débat. Ciel, mer, mort. La paix est un mythe. Mort sur la mer comme au ciel, la guerre est un mode de vie pour certains.
Un point distant se détache dans l’azur. On le discerne à peine, mais le vacarme de ses réacteurs recouvre bientôt les bruits de l’océan. C’est un bombardier lancé à vive allure, traçant derrière lui une longue cicatrice nuageuse. Du cockpit, le pilote n’admire pas le paysage. Il se concentre, c’est tout. La cabine est suspendue dans un espace à part dominé par le vrombissement des machines. À travers la vitre, l’horizon écrase toute perspective et la guerre prend des allures de détail. La mer a disparu, la terre et ses montagnes paraissent à peine. Des cubes gris se démarquent difficilement de la plate étendue. Objectif à dix heures. Il est temps, le tableau de bord commence à biper. OK. Le pilote lève le capuchon de protection, attend un peu. Un… deux… Maintenant ! Il appuie sur le bouton rouge… Ça y est, l’avion ballote. Libéré du poids des missiles, il gagne en altitude. Opération terminée. Le soldat discerne les explosions qui poussent comme des tumeurs. Une frappe chirurgicale…
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